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Odyssée Noire
5 mars 2011

Comptes d'un jour de guerre

 

Souviens-t-en, nous rentrions la semaine dernière. Sur le chemin, nous avions croisé le désespoir, appuyé au distributeur d’une banque. Une femme aux aguets le tenait en laisse comme son sac visiblement trop chétif pour supporter les famines de son foyer.

Elle attendait patiemment que vienne son tour. Son seul souhait: tirer de sa fortune la pitance de quelques jours. Sans le tamis en osier, elle ferait le compte des grains de riz, les recompterait autant de fois qu’il y aurait de doigts et d’yeux autour du plat. Toutes les parts seront égales. Qu’à cela ne tienne, pour imposer que l’unique repas soit pris le midi, elle engagerait la guerre contre son mari. Peut-être lui restera-t-il quelques pièces pour écraser de sa pierre l’arôme qui épaissirait la vapeur sur la sauce.

Souviens-t-en, c’était à la même heure. Sur le chemin, nous avions entendu la vanité, pontifier et étaler son entregent. Un homme aux aguets la tenait avec la prétention si pleine qu’elle devait lui valoir un titre égal.

Depuis très longtemps, il attendait que vienne enfin son tour. Son seul but était de tirer son épingle du jeu dans la guerre qu’il menait pour le fauteuil escompté. La faillite de ses rivaux lui avait laissé le champ libre. Sur un plateau en or, une Direction lui fut offerte, mais il s’agissait d’une banque fantôme. Qu’à cela ne tienne, il entendrait claquer  les liasses de son compte autant de fois que les talons claqueraient à son passage. Peut-être lui restera-t-il quelque fierté à écraser de sa modestie ceux qui n'avaient pas obtenu le poste.

Souviens-t-en, c’était à la même heure. Sur le chemin, nous avions aperçu la résignation, cachée dans l’ombre de la peur. Un jeune homme aux aguets l’abritait derrière un baril, si vide que les tirs n’auraient pu ricocher sur lui.

Il attendait gaillardement que vienne aussi son tour. Tirer la balle qui ferait abdiquer le Général. Pour cela, il serrait entre ses dents la rage de son quartier et celle de tous ses partisans. A chaque tir adverse, il pesait et soupesait les risques qu'il encourait. Qu’à cela ne tienne, il était convaincu que le char l’épargnerait autant de fois qu’il lancerait ses modiques projectiles. Peut-être lui reviendrait-il la tâche de compter et recompter les survivants. Jusqu’à l’assaut prochain, Il pourrait ainsi écraser les balles sous ses pas de danse.

Les balles à cette heure fusaient, les corps nombreux tombaient. Plus tard nous avons reconnu ce jeune. A la poche de sa chemise déchirée, l'unique billet de banque qu'il gardait précieusement déteignaient dans le sang. Il était troué en plein cœur.

Les personnages et les situations de ce récit n’étant pas purement fictifs, toute coïncidence avec des personnes vivantes ou ayant vécu ne saurait être que pure ressemblance .

 

Odyssée Noire / chevalnoirdulysse@gmail.com

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